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« Le Crématorium froid », de Jozsef Debreczeni : entendre un témoin oublié des camps de travail

« Le Crématorium froid. Au pays d’Auschwitz » (Hideg krematorium. Auschwitz regénye), de Jozsef Debreczeni, traduit du hongrois par Clara Royer, Stock, « La cosmopolite », 336 p., 22,90 €, numérique 16 €.
Dans la masse de témoignages sur la Shoah, dont les contemporains quittent peu à peu la scène, se distinguent ceux qu’ont livrés les intellectuels et écrivains, en particulier ceux qui furent rédigés peu de temps après leur déportation. Le Crématorium froid, de l’écrivain magyarophone Jozsef Debreczeni (Jozsef Bruner de son vrai nom, 1905-1978), répond à ces critères. Ecrit à partir de 1947, il a été publié en 1950 dans la Yougoslavie de Tito, avec un écho restreint.
Mais cet exceptionnel récit − que son auteur tenait à qualifier de « roman », tant il voulait que la littérature s’empare de la vérité historique, aussi atroce fût-elle − ajoute à sa contribution à l’histoire le miracle d’une renaissance. Il n’a été véritablement connu qu’à la faveur de sa traduction en anglais, entreprise récemment par le neveu de l’auteur, Alexandre Bruner. Bien qu’il ait été réédité en 1975, puis en 2015, en hongrois et en serbe, c’est seulement à la Foire de Francfort de 2023 que cet ouvrage majeur a commencé une circulation mondiale – il va être traduit en au moins une dizaine de langues.
Raphaëlle Liebaert, directrice de la collection « La cosmopolite », chez Stock, l’avait, elle, remarqué dès 2022. « On trouve rarement des textes littéraires dans la littérature concentrationnaire, confie-t-elle au “Monde des livres”. Or, à lire Debreczeni, on voit que c’est un poète, non seulement par ce qu’il dit, mais aussi par ce qu’il tait, notamment la perte de sa femme et de ses deux parents. » Debreczeni, qui détaille les oscillations de sa volonté de survivre, sera en effet le seul à revenir des camps nazis où ont été assassinés son père, ­Fabian Bruner, sa mère, Szidonia Lindner – originaires, comme lui, de Budapest –, et sa femme, Lenke.
Tous avaient cherché refuge, dans les années 1930, dans la ­province yougoslave de Voïvodine, à Backa Topola (Serbie), en espérant échapper à l’antisé­mitisme institutionnel qui sé­vissait en Hongrie. Comme de ­nombreux fugitifs, ils sont rattrapés par les troupes hongroises ­alliées de l’Allemagne nazie, qui occupe ce territoire en 1940. ­Joszef Debreczeni est déporté à Ausch­witz en avril 1944, en plein renversement de la marée qui va aboutir à la défaite de l’Axe. Il est sélectionné pour le ­travail forcé.
Son récit renouvelle le regard porté sur les annexes d’Auschwitz- Birkenau, où l’on trime à l’ombre des crématoires. Il ne sera libéré que le 8 mai 1945, du camp-« hôpital » de Dörnhau, son état ­d’affaiblissement extrême l’ayant poussé à choisir de rester, alors que les camps se vidaient. A son retour, il se retrouve à l’est du rideau de fer, ce que rappelle l’ultime phrase du livre, évoquant L’Internationale entonnée par les détenus libérés par les Soviétiques, ou l’usage du terme de « fasciste », employé à l’Est pour désigner les hitlériens. Il s’installe à Belgrade, où il meurt à la fin des années 1970.
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